Lusopholie

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Archive pour la catégorie 'littérature et culture'

Genèse

Posté : 21 février, 2011 @ 8:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

 

Genèse dans - époque contemporaine n02-mulher-serpente

« Eve, le serpent et la mort« de Hans B. Grien (1510-15)

Avec le temps, un temps vague et indéterminé, Adam et Notre Seigneur devinrent amis. Et comme ni l’un ni l’autre n’avaient eu d’enfance, ils inventaient tous les jours un jeu différent, une distraction – toujours agréable, puisque le mauvais goût n’existait pas encore.
- Aujourd’hui j’ai envie de créer des animaux, dit-Il en tapant sur l’épaule d’Adam.
- Des animaux? Je ne comprends pas…
- Des choses animées par l’âme, des choses qui bougent…
- Je sais !… le feu fait bouger.
- Pas du tout, le feu ne fait bouger que ce qui est près de lui.
- D’accord, conclut Adam. Et comment on fait?
- Pas «on». C’est moi qui fais.
- Mais comment tu fais si tu n’en as jamais vu?
- Comme ça: on dit les consonnes et les voyelles au hasard, et on voit ce que ça donne.
Et ils se mirent à prononcer et à créer et ils s’amusaient comme des fous. Ensuite, le Seigneur se contentait de dire : « Va-t-en » et Adam poussait l’animal en disant : « Adieu ! »
- «Chat», dit Adam.
- Cette merveille reste avec moi. Ne touche jamais cet animal même pour le caresser. «Chien!»
- Celui-là, je le veux ! Regarde-moi ces yeux. Si je me penchais sur l’eau avec lui, on dirait que nous ne sommes qu’une seule et même chose.
- Garde-le, si tu veux, mais loin d’ici… je me repens même de l’avoir créé. Mais bon.
- «Chauve-souris», dit Adam.
- Va au diable! s’exclama le Seigneur, tout tremblant.
- Qu’est-ce que tu dis? C’est quoi le «diable»?
- Je ne sais pas trop. C’est quelque chose que je ressens quelquefois à l’intérieur de moi.
- Cela ne doit pas être un animal. «Athée!»
- C’est pire que toi et le diable réunis. Sois maudit ! Tout est fini entre nous.
Et Il l’abandonna au milieu de la multitude des animaux, qui jusque là vivaient en parfaite harmonie. Mais, lorsque le Seigneur s’éloigna, ils se mirent à rugir, à grogner, à montrer les dents, à hurler. Pour la première fois Adam éprouva une sensation d’étrangeté et cria :
- J’ai peur!
Et ce qui l’effraya le plus, c’est qu’il ne savait pas exactement ce que ces mots voulaient dire. Alors, le chien s’approcha et lui lécha la main. Adam sentit sa chaleur et se détendit un peu, l’entoura de ses bras et se mit à pleurer. Il vit quelques gouttes tomber sur le sol et regarda le ciel. Peut-être parce qu’il étaient émus, les autres animaux s’éloignèrent et laissèrent en paix ces deux âmes jumelles. Une paix solitaire, mi-canine, mi-humaine. Jusqu’au jour où se planta devant Adam l’animal le plus étrange et le plus fascinant, qui dit avec un naturel troublant :
- C’est moi, Eve.

Dimiter Anguelov, Furacão no labirinto, Europa-América, 1996

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Tradition

Posté : 19 février, 2011 @ 10:11 dans - époque contemporaine, littérature et culture, musique et chansons | Pas de commentaires »

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Gabriela Mendes (Cap vert)

mémoire morte

Posté : 18 février, 2011 @ 9:13 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 4 commentaires »

 

 

 

mémoire morte dans - époque contemporaine lavage10

 

 

*

Un jour je ne me suis pas présenté à la mairie pour faire mettre à jour mon disque dur. Ils m’ont supprimé mon code secret. Et à partir de là, j’ai été perdu.
- C’est dans le monde d’avant que vous êtes perdu. On n’utilise plus le disque dur depuis pas mal d’années. Je ne sais même pas comment je m’en suis souvenu. Ce souvenir pourrait d’ailleurs me causer des ennuis.
- Et alors, qu’est-ce qu’on utilise maintenant ?
- Un appareil très sophistiqué. Vous n’avez même plus besoin d’aller à la mairie. Vous (vous, non, parce que vous avez dépassé les délais), vous, disais-je, n’échappez pas à la mise à jour, même en vous cachant dans le coin le plus sombre.
- Et comment s’appelle ce tyran artificiel ?
- Il n’est déjà presque plus artificiel, bien qu’il ne s’adapte à aucun nom. C’est quelque chose qui vous use un nom en un rien de temps, absolument délirant, un truc d’une rapidité qui précède le phénomène. La quintessence de la double cellule « information-désactualisation ».
- Mais il doit y avoir des spécialistes en la matière.

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l’honnête homme

Posté : 15 février, 2011 @ 9:30 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

dimitersinaisexterioresdefortuna.jpg

Signe extérieur de richesse (photographie de l’auteur)

- Mais finalement, qu’est-ce qu’un honnête homme ?

- Eh bien. Un honnête homme n’accélère jamais le pas, sauf quand il est en danger de mort. Il ne fait jamais de mouvements brusques, à moins qu’il ne soit piqué par un insecte rare ou mordu par un animal de moyenne ou de grande taille. Et même dans ce cas, il n’oublie pas d’imprimer à ses mouvements, dans son étonnement ou dans son déplaisir, une certaine grâce. Y compris avec les humains : un honnête homme ne perd jamais patience, ne fait jamais preuve de grande aversion ou de révolte, à moins qu’il ne se voie forcé de se joindre à une attitude collective ou, ce qui est la même chose, lorsque cela l’arrange, pour des raisons de force majeure, bien entendu. Un honnête homme ne dit jamais de mal de personne, bien qu’il puisse agir comme il l’entend, et recourir aux moyens… exceptionnels. Parce que l’honnête homme est une exception par excellence.
- Vous voulez dire que c’est une rareté, de nos jours ?
- Il a de tout temps été une rareté. Toujours difficile à identifier. Pour une question de discrétion, de modestie, et toutes les autres vertus qu’on lui attribue habituellement.- Dans ce cas c’est un animal solitaire.
- Solitaire, il peut l’être ou le devenir. Mais un animal, non. C’est exclu dès le départ.

Dimíter Ánguelov, Trinta contos até o fim da vida, 1998

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L’enfant

Posté : 15 février, 2011 @ 8:37 dans - époque contemporaine, littérature et culture, Poesie | 2 commentaires »

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Maria Bethânia, O poema do menino Jesus (Alberto Caeiro alias Fernando Pessoa)

 

 A moi, il m’a tout appris.
Il m’a appris à observer les choses.
Il me montre tout ce qu’il y a dans les fleurs.
Il me montre comme les pierres sont jolies
Quand on les tient dans la main
Et qu’on les regarde bien.

Joyeux anniversaire

Posté : 13 février, 2011 @ 7:08 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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merrouge2.jpg

*

Jusqu’à ce que je suffoque, il a fallu aussi sept années. La huitième, je me suis reposée. L’anniversaire de mes huit ans a été une tragédie. Bien qu’ils aient tous été animés de la meilleure volonté, je ne me suis même pas amusée une minute. C’est tombé un dimanche de Pâques. Mon anniversaire m’a fait gaspiller un jour férié que j’aurais pu passer avec mon père. Avec moi il n’y avait que douze enfants, et je ne me rappelle le nom d’aucun. Je me rappelle juste le nombre, douze. Parce que j’ai compté les morceaux du gâteau, pendant que je comptais, je n’ai pas entendu joyeux anniversaire. Je me concentrais sur le comptage, pour tenter d’oublier le reste. De ma mère, je ne me souviens pas. Je me souviens seulement de mon père, vaguement. Derrière la flamme de la bougie, il chantait avec enthousiasme. A mesure que le couteau montait et descendait dans le gâteau, mon cerveau se brouillait.

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Le premier jour

Posté : 11 février, 2011 @ 8:45 dans musique et chansons, Poesie | 2 commentaires »

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Sérgio Godinho, O primeiro dia

Au début c’est simple, on marche tout seul
on passe dans les rues, tout doucement
on est dans le silence et le murmure
on boit les certitudes dans un verre de vin
puis on se souvient d’une phrase rebattue

aujourd’hui, c’est le premier jour du reste de ta vie
hoje é o primeiro dia do resto da tua vida

Peu à peu l’allure se fait vagabonde
on fait le tour de la peur, on fait le tour du monde
on dit du passé qu’il est moribond
on boit le courage dans un verre sans fond
et on se souvient d’une phrase rebattue

hoje é o primeiro dia do resto da tua vida
hoje é o primeiro dia do resto da tua vida

Alors, les amis nous offrent un lit
on entre crevé, on ressort rafraîchi
on lutte pour tout ce qui nous tient à coeur
on boit et on mange, quelqu’un nous dit bon appétit
et on se souvient d’une phrase rebattue

hoje é o primeiro dia do resto da tua vida
hoje é o primeiro dia do resto da tua vida

Puis vient la fatigue, et le corps faiblit
on se regarde, il ne reste plus grand chose
on demande un répit, aussi court soit-il
on oublie ses doutes dans une mer de bière
e vem-nos à memória uma frase batida

hoje é o primeiro dia do resto da tua vida
hoje é o primeiro dia do resto da tua vida

Enfin, d’un choix on fait un défi
on affronte la vie d’un bout à l’autre
on navigue sans mer, sans voile ni navire
on boit du courage même d’un verre vide
e vem-nos à memória uma frase batida

hoje é o primeiro dia do resto da tua vida
hoje é o primeiro dia do resto da tua vida

Entre temps, le temps a fait cendre la braise
une marée haute viendra de la marée basse
un jour nouveau se lève, et on a des ailes
on trinque à ses amours avec le vin qui reste
e vem-nos à memória uma frase batida

hoje é o primeiro dia do resto da tua vida
hoje é o primeiro dia do resto da tua vida

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Elégie

Posté : 8 février, 2011 @ 9:35 dans - XVIIème/XVIIIème siècles, littérature et culture, Poesie | Pas de commentaires »

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Cascade fantastique, huile de Catherine Scharbach

Seraient-ils ceux-là,
Les lieux enchanteurs,
Par où je passais
Les bonnes années ?

Serait-ce les prés
Où je m’amusais,
Tout en faisant paître
Le gentil troupeau

Qu’Alceu m’a laissé ?

Ce sont-là ces lieux ?
Eh bien oui ; c’est moi
Qui suis différent.
C’est toi, Marília ?
J’arrive, attends.

Un cours d’eau tombait
De ce haut rocher ;
Au bruit murmurant
J’ai dormi souvent !
L’écume neigeuse
Ne recouvre plus
Les rochers brisés :
Comme si la rivière
S’était détournée.

Ce sont là ces lieux ?
Eh bien oui ; c’est moi
Qui suis différent.
C’est toi, Marília ?
J’arrive, attends.

[…]

L’âme qui avait
Toute liberté,
Ressent à présent
Amour et regret.
Les lieux enchanteurs
Qui jadis me plurent,
Las ! n’ont pas changé ;
Mais j’ai d’autres yeux,
Je suis affligé.

Ce sont là ces lieux ?
Eh bien oui ; c’est moi
Qui suis différent.
C’est toi, Marília ?
J’arrive, attends.

Tómas António Gonzaga, Liras, (Bahia) 1744, Portugal – 1810 ?, Mozambique.

gonzaga.jpg

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