Archive pour la catégorie 'littérature et culture'
aurore
Photographie Michel Bacchetta
J’hésite un moment à jeter le cahier à l’eau ; mais quelqu’un me bouscule, en passant près de moi dans un groupe de gens pressés, ce qui m’oblige à le lâcher. Je le vois disparaître sur la surface noire du Tage, où les lumières se reflètent, emportant par le fond tout ce que j’ai écrit dans ce café où j’ai perdu Rosine. Je me sens soulagé, comme si j’avais jeté mon angoisse dans le fleuve et qu’elle se diluait dans le courant. J’ai la conscience pure, vierge de souvenirs et d’images. Isabelle, Rosine, la répétitrice de français, la petite amie de l’homme du golf, la fiancée, mon arrière-grand-oncle, Marta et José Cravo, tous ceux qui s’étaient rassemblés autour de moi s’envolent en fumée, eux aussi, dans cette nuit qui touche à sa fin, où la brume de l’aurore tombe sur le port, qui blanchit sous la première lueur du jour.
Nuno Júdice, L’ange de la tempête, La Différence, 2006
la pomme
Pommes de Monchique
Nous sommes en pleine ère électronique, l’ère de l’informatique, de l’ordinateur. Mais aussi des armes chimiques, de la pollution, du trou dans la couche d’ozone. Au long de l’histoire, le monde n’a jamais connu d’époque où les capacités humaines n’aient à tel point explosé. La technique menace de détruire l’homme lui-même ou de créer, en laboratoire, un quelconque robot qui le remplacera. Dans tout ce panorama d’agitation et d’inquiétude, il n’y a qu’une chose qui nous tranquillise. C’est, vrai, à mon avis : il n’y a plus que la pomme.
Tout a évolué, tout est plein de produits nocifs pour satisfaire notre société de consommation
Seule la pomme reste égale à elle-même et au premier jour. Depuis qu’Eve l’a cueillie au Paradis et qu’Adam l’a gardée en travers de la gorge. Grosse ou petite, elle est toujours la même, elle est toujours, et de plus en plus, une tentation pour l’homme. Tentation du pouvoir, lorsqu’on y mord à belles dents. Tentation de l’argent, lorsqu’on la ronge jusqu’au trognon, sans rien laisser à personne. Et beaucoup d’autres, dont on ne parlera pas ici, mais dont tout le monde veut croquer.
J’ai pris conscience des nombreuses vertus de la pomme séductrice lorsque j’ai entendu pour la première fois dire que les petits vieux aux yeux brillants et aux joues bien rouges, à la peau colorée par l’air de la montagne, par les monceaux de pommes qu’ils coupaient au canif et mordillaient entre les dents qu’il leur restait, ou par un petit coup d’eau de vie d’arbouse, ressemblaient à de petites pommes de Monchique.
le m’fiti
Zambèze ( mocambique3.blogs.sapo.pt)
Ils furent, ceux qui arrivèrent jusqu’à cette nouvelle terre, emmenés sur la véranda du magasin de Mama Mère. Et sur le terre-plein devant, sous les arbres, ceux qui ne rentraient pas. La généreuse femme ordonna que soit distribué du thé chaud pour tous, car elle ne pourrait pas donner grand chose de plus sans l’aide du gouvernement. Et ces survivants buvaient déjà en leur nouvelle qualité – celle de réfugiés – car paysans et pêcheurs, ils avaient cessé de l’être à partir du moment où ils avaient traversé le fleuve. Ce sont à présent des réfugiés et le propre des réfugiés c’est de remercier. Le propre des réfugiés, c’est de trembler de froid, de regarder autour d’eux en des quêtes successives, de pleurer de bonheur et de tristesse. Plus tard viendront les camions – une longue file bruyante – qui les emmèneront à Unkwini, le camp de réfugiés, où leur nouveau statut sera officialisé. Et il ne pourrait en être autrement car s’ils restaient tous à Feira, qui n’est qu’une bourgade, ils dépasseraient en nombre les habitants, la défigurant et brouillant sa géographie. Il n’est pas normal qu’une ville ait pour occupants les habitants d’une autre. Zumbo c’est Zumbo et Feira c’est Feira, et c’est ainsi que cela doit continuer à être malgré cette tragédie.
Levantou-s’a velida
Dom Dinis
Elle s’est levée la belle
elle s’est levée à l’aube
va laver des chemises
au large
va les laver bien blanc.
S’est levée la mignonne
elle s’est levée à l’aube
va laver des corsages
au large
va les laver bien blanc.
Va laver des chemises
elle s’est levée à l’aube
le vent les lui soulève
au large
va les laver bien blanc.
Va laver des corsages
elle s’est levée à l’aube
le vent les lui emporte
au large
va les laver bien blanc.
Le vent les lui soulève
elle s’est levée à l’aube
l’aube s’est énervée
au large
va les laver bien blanc.
Le vent les lui emporte
elle s’est levée à l’aube
l’aube s’est enragée
au large
va les laver bien blanc.
Dom Dinis, CV 172
Exposition Zeca Afonso en France
Mémoire Vive/Memória Viva a le plaisir de vous informer qu’après le succès de l’événement qui a rendu hommage à José Afonso le mois d’octobre dernier, l’AJA(Associação José Afonso – Setúbal, Portugal) nous a confié l’exposition de photos de l’artiste pour qu’elle soit divulguée en France.
L’APCS (Association Portugaise Culturelle et Sociale) de Pontault-Combault accueillera déjà l’exposition du 24 janvier au 4 février 2011:
____________________________________________
José Afonso.
Troubadour, poète, chanteur, compositeur de musique militante qui a marqué l’univers musical portugais.
(avec la participation de Zélia Afonso)
Le vernissage de l’exposition aura lieu le 28 janvier 20h30 au siège de l’APCS. 62, av. Lucien Brunet, à Pontault-Combault – 77340 – Tél.: 0170104126.
Cantiga
C’est par ton visage où passent les marées,
par tes lèvres où les mouettes volent,
par tes doigts où la lumière transparaît,
par tes yeux qui me tracent des routes,
que ce bateau trouve son chemin,
que ce jour découvre qu’il est encor temps,
que les paroles se boivent comme du vin,
et l’ardeur du feu n’est pas une souffrance.
C’est en ce que tu me dis dans les mots de la nuit,
en ce qui reste du matin que l’on oublie,
en ce que l’on dit dans tout ce que l’on tait,
sans pour autant le dire au lever du jour.
Peut-être est-ce l’amour si souvent éprouvé,
ou seulement celui qui vit dans mon cœur,
peut-être est-ce ce que je croyais avoir oublié,
et qui revient à présent par ta main.
Combien de fois déjà arriva le printemps,
combien de fois les fleurs tout aussitôt moururent :
jusqu’au jour où rien ne fut plus comme avant,
et où toutes les feuilles mortes reverdirent.
Nuno Júdice, A à Z, 18 mai 2007
Nuno Júdice est né le 29 avril 1949 à Mexilhoeira Grande (Algarve). Il est professeur en Littérature Comparée à la Faculté de Sciences Sociales et Humaines de l’Université Nouvelle de Lisbonne. Entre fin 1997 et début 2004 il a été Conseiller Culturel à l’Ambassade du Portugal à Paris, où il a dirigé le Centre Culturel de l’Institut Camões.Il a publié des livres de poésie, des essais, des romans.Il est traduit en plusieurs pays, et en France son recueil Un chant dans l’épaisseur du temps est paru dans la collection Poésie/Gallimard. Son roman Traces d’ombres est paru dans les Editions Metailié et L’Ange de la tempête chez La Différence. D’autres livres sont publiés chez Fata Morgana (Lignes d’Eau, Pedro évoquant Inès, Source de vie), Editions Chandeigne (Jeu de reflets), L’Escampette (Les Degrés du regard) et Le Taillis Pré (La Condescendance de l’être et Le Mouvement du monde).