Afonso Henriques: de la ruse
Et autant il était au début très farouche, autant ensuite il se mit par la grâce de Dieu beaucoup à son service, car en son temps, quand il était jeune homme, il ne connaissait pas du tout Dieu et ne savait même pas qu’il existait, car il était alors si entreprenant et si hardi qu’il ne trouvait personne qui le fût autant que lui, aussi bien dans les armes que dans tout le reste. Après cela, à cause du péché et du mal qu’il avait fait sa mère en la mettant aux fers, il se cassa une jambe à Badajoz, qu’il avait prise à des Maures. Et cela se passa ainsi :
Quand le Roi dom Fernando de León sut que le Roi du Portugal avait pris Badajoz, qui était sur son territoire parce qu’il l’avait conquise, il rassembla une grande armée et marcha sur lui, et les vassaux du Roi dom Afonso lui dirent alors:
« Sire, voici que nous arrive le Roi dom Fernando de León avec une grande armée. »
Le Roi dom Afonso dit alors avec grand orgueil : « Armons-nous et sortons lui livrer bataille. »
Et quand le Roi dom Afonso fut armé et monté à cheval, il éperonna sa monture fort gaillardement, et au moment où il sortit par la porte, il heurta le verrou avec la jambe, et il sortait si vigoureusement qu’il se cassa la jambe et alla aussitôt choir dans un champ de seigle. Et dom Fernan Rodriguez le Castillan qui le vit tomber de cheval alla sur l’heure le dire au roi Fernando :
« Sire, le Roi dom Afonso gît avec une jambe cassée, faites-le prisonnier car il a encore peu de gens avec lui. »
Et le Roi dom Fernando le fit prisonnier sur-le-champ. Et il donna aussitôt au Roi dom Fernando tous les châteaux qu’il avait pris en Galice, et fit promesse et serment que lorsqu’il remonterait à cheval il irait rejoindre le Roi dom Fernando où qu’il fût, et s’en retourna ensuite à Coimbra. Et il ne voulut jamais plus monter à cheval de tous les jours de sa vie jusqu’à ce qu’il meure. Et il allait dans une charrette, et quand il mourut l’ère comptait mille deux cent vingt-trois ans.
Crónicas Breves de Santa Cruz de Coimbra