Lusopholie

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Archive pour la catégorie 'littérature et culture'

naufragé

Posté : 22 octobre, 2006 @ 7:12 dans - époque contemporaine, littérature et culture | 2 commentaires »

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SoKa, Le naufragé

Du large on ne voit pas la côte, et l’on meurt résigné lorsque l’eau emplit la bouche ; mais lorsque la plage est proche, à peine à la distance d’un dernier effort, on croit qu’il aurait pu exister d’autres possibles si, avec d’autres forces, avec un autre courage, avec l’aide ténue d’une dernière vague… Et l’on meurt à la vie plus meurtri, plus aveugle surtout, de tant regarder la terre qui, d’être si proche, nous échappe.

Sérgio Luís de Carvalho, Os rios da Babilónia, Campo das Letras, 2003

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mauvais présage

Posté : 22 octobre, 2006 @ 7:33 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Fond de rivière 

Les ombres, te disais-je, que nous serons ? Des ombres, finalement, nous en sommes déjà tous ; des ombres d’hommes, des ombres d’hommes qui occupent leurs jours à cacher de leurs pauvres mains nues les épaisses ténèbres qui recouvrent à présent le monde. Avance, Flavien, avance. Emmène avec toi la mule qui calmera la faim de quelques-uns pour peu de temps. Marche, ou plutôt cours, car si aujourd’hui tu es celui qui donne, sûrement demain tu seras celui à qui l’on donne.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
J’assiège de mes questions les paysans qui mangent sur le territoire de Redondelo, mes mains serrés sur leurs épaules et mes yeux posés sur eux avec insistance, comme si par leurs yeux à eux les miens pouvaient voir plus loin que l’espace exigu qui entoure mon domaine.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
Tout savoir, savoir tout ; boire jusqu’à la lie la dernière goutte amère de ce qui arrive en ce monde.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
Mais leurs yeux sont si épouvantés par mes questions que de leurs bouches ouvertes sur le pain et le vin rien ne sort que de pauvres et vaines paroles qu’ils prononcent à peine.
« Plus loin, évêque Hydace, au-delà du pont de Trajan il y a des signes… »
« Qu’y a-t-il plus loin ? Qu’as-tu vu au-delà du pont de Trajan qui puisse perturber la paix de tes travaux ? »

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L’empoisonneuse

Posté : 19 octobre, 2006 @ 2:31 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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La Voisin, estampe du XVIIème siècle

Et c’était son visage que Paul regardait maintenant sur la photographie en noir et blanc reproduite dans un livre sur les criminelles célèbres, et qui avait comme légende : Marie Auteuil, guillotinée en 1861. Le visage bien dessiné, les yeux immenses et écartés, le petit signe de naissance sous l’œil gauche, la bouche un peu trop grande. Les cheveux étaient tirés sur la nuque et tombaient en boucles douces, ils étaient bruns et épais, la robe semblait être en velours et un décolleté profond laissait deviner la racine des seins.
Mais, sans qu’il sût pourquoi, ce qui le troublait le plus était le collier travaillé, les longues boucles d’oreilles, qu’il reconnaissait parfaitement. Il les avait examinées avec admiration, le métal sombre, l’argent, or blanc ou peut-être platine, les petites pierres très vertes qu’elle lui avait dit être des émeraudes. Malgré l’absence de couleurs, il n’y avait pas de doute, les bijoux étaient identiques, le vieux collier que Marisa portait toujours, même pour dormir, comme s’il faisait partie de son corps, les boucles qu’elle mettait quelquefois, quand elle tirait ses cheveux en arrière et les attachait avec une barrette.

Avec une sensation de cauchemar, il lut les deux pages qui avaient trait à Marie Auteuil. Elle avait été jugée pour l’assassinat, à l’arsenic, de deux de ses amants, mais on suspectait qu’elle en avait empoisonné au moins quatre autres.

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Rapport

Posté : 19 octobre, 2006 @ 1:06 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Il a été facile de voir que nous allions arriver à la ville. Très facile en vérité, puisque à mesure que nous entrions dans les terres à travers lesquelles cette secte hérétique damnée a pu répandre son ivraie et que nous approchions de cette ville où nous sommes arrivés hier, se faisaient de plus en plus visibles les signes de l’Antéchrist, et de moins en moins la face du Seigneur paraissait régner sur la région, comme si une véritable malédiction enveloppait tout d’un voile épais. Et les visages des gens qui nous regardaient avec méfiance nous blessaient plus que la rudesse des chemins ou l’inconfort de nos montures, car de ces derniers nous nous accommodions par amour du Christ ; mais contre le regard insane des gens, que pouvions-nous sinon prier à chaque halte que la lumière les éclaire et les remette dans le droit chemin ?
Chaque fois que nous demandions à un paysan le chemin de cette ville de N., ne nous répondait qu’un visage détourné, un visage détourné vers le sud, nous indiquant ainsi ledit chemin, un visage détourné sans paroles ni salut ni conseils ; il était clair que si cela n’avait pas été pour l’escorte que vous m’avez donnée j’aurais craint pour ma vie, car je voyais bien les mains de ces paysans se serrer sur le bois des piques ou des fourches en me regardant et en voyant mon habit. Que le Seigneur leur pardonne leur démence, car je leur ai aussitôt pardonné une telle déraison.
Ainsi avons-nous fait le voyage qui a duré près d’un mois ; il me fallait, de temps à autre, réfréner les cavaliers de cette mienne escorte qui, agacés par le mépris en lequel les tenaient les simples et les paysans que nous croisions, ont si souvent dégainé leur dague, possédés par la colère qu’il me coûtait à moi de contenir. Et c’était merveille de voir comment le péché se propage si rapidement, car de calmes soldats d’ordinaire maîtres d’eux-mêmes en rien de temps se changeaient en bêtes féroces, par la cause de ce voile épais de perdition qui domine nettement ces terres.

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confession

Posté : 12 octobre, 2006 @ 1:00 dans - époque contemporaine, littérature et culture | Pas de commentaires »

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Januário s’assit et attrapa la marmite que l’autre lui tendait. Et il dit
- cette putain savait des choses, ça c’est vrai…
Ils restèrent tous deux silencieux. On entendait seulement par moments le bruit que faisait le vieux en mangeant. L’aspiration de la cuillère. La mastication salivante.
Puis il poursuivit
- moi, je n’avais déjà plus la patience de la supporter. J’en avais marre ! Cette nuit-là… je l’ai entendue dehors, en train de hurler comme une louve. Cette salope était toute nue, derrière la maison, à glapir, à se rouler sur l’aire encore chaude de soleil… On aurait dit le diable en personne…
Le vieux se tut. Il se fit un silence de mort. Soudain, sur la pierre de l’âtre, un grillon se mit à chanter.
-… autour d’elle, tout luisait, comme des charbons qui restent après un feu… Je n’y voyais presque plus… Je me suis jeté sur elle et elle s’est débattue, et quand je l’ai attrapée par derrière je lui ai tapé sur la tête avec une pierre… Je l’ai tuée.

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Abus de pouvoir

Posté : 10 mars, 0201 @ 1:34 dans - moyen âge/ XVIème siècle, littérature et culture | Pas de commentaires »

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monnaie frappée par Rodrigo, roi de Tolède (710-711)

Comment Alataba, fille du comte Ilham, arriva à Tolède.

Ceux qui conduisaient la fille du comte, après être partis de Ceuta, voyagèrent maintes journées jusqu’à Tolède où était le roi Rodrigue. Et celui-ci, lorsqu’il la vit, l’apprécia beaucoup, ainsi que la reine. Et, après qu’on l’eut conduite auprès des autres demoiselles, filles des plus grands nobles d’Espagne, elle commença à tenir son rang elle aussi très bien et à être si bonne et si sage que tous ne disaient d’elle que du bien. La reine l’aimait beaucoup et disait qu’il serait impossible que cette demoiselle, si elle vivait longtemps, ne devienne pas une femme exceptionnelle. Et, je vous assure qu’à entendre ceux qui parlaient de sa bonté et de sa beauté, elle était, à ce moment-là, la plus belle demoiselle de toute l’Espagne.
Or, un jour il arriva que, comme elle se promenait dans un verger avec maintes autres demoiselles, sans coiffure, et que le roi Rodrigue étant placé de façon à bien voir le groupe des jeunes femmes, il aperçut sa cheville. Et celle-ci était si blanche et si bien faite qu’il n’y en avait pas de plus belle. Dès qu’il la vit, il s’éprit aussitôt d’elle, et alla aussitôt la demander. Et, quand elle vit le roi exiger ainsi, elle fut très peinée et se défendit du mieux qu’elle put par de bonnes paroles. Mais il était si obstiné que sa défense ne lui servit de rien, et il vainquit, parce qu’elle était femme, et elle dut obéir au roi Rodrigo, qui l’aimait si fort et lui faisait tant de promesses.
Mais ce fut grande merveille car, dès le premier jour où le roi voulut la prendre, elle l’aima de moins en moins ; elle était sage demoiselle, de bon sens, et elle voyait clairement que le roi ne pouvait rien faire qui ne la déshonorât. Pourtant, sans plaisir, à ce qu’il semble, elle fit ce qu’il voulait. Et il lui vint au cœur un si grand chagrin qu’elle se mit à perdre sa beauté d’une façon effrayante.

(Crónica Geral de Espanha de 1347)

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