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« Car au commencement de ce livre j’ai dit que je n’y écrirais pas autre chose, excepté ce que j’ai fait de mes mains ; pourtant je dis que dans les livres de fauconnerie j’ai vu écrites maintes choses extravagantes et douteuses, à propos du faucon qui ne veut pas muer. »
Pero Menino, Livre de Fauconnerie, chap. 24, folio 63 v. (XIVème siècle)
[...]
Le cavalier qui passe au soleil de midi est à présent Luís de Castro, qui en haut de son poing levé brandit aussi son faucon, dont le capuchon ne laisse pas voir les yeux. C’est pourquoi l’oiseau ne voit pas un autre homme qui arrive et qui porte lui aussi, sur sa main protégée, un autre faucon. Et en arrivant près du juge à cheval, frère Gil , à son tour, brandit le faucon qu’il porte.
- N’abusez pas de la chance, frère Gil. N’essayez pas d’abuser de la chance, frère Gil. Deux mâles de cette race ensemble dans un même lieu est une cause certaine de dispute.
- Même s’ils se connaissent depuis toujours et qu’ils se considèrent comme des frères, Luís de Castro ?
- Même ainsi. Les êtres de grande noblesse – noblesse non pas de sang mais de volonté assumée – veulent se voir dans leur propre territoire sans que les autres leur fassent de l’ombre ou ternissent leur propre éclat.
Mais un large sourire fendit le visage du juge, et aux paroles qu’il avait prononcées il ajouta :
- C’est des faucons que je parle, mon frère. Vous le savez.
Frère Gil sourit aussi, parce qu’il n’en avait jamais douté.
Le prêtre ôta le capuchon de son faucon, détachant le lacet qui le retenait, et le fit aussitôt se dresser dans le soleil de Monsaraz. Approchant le visage du bec de son oiseau comme pour lui faire une confidence, il dit…
- Va !
Et le juge en fit autant avec le sien. Les faucons progressaient tous les deux en cercle sans que l’on sache lequel suivait l’autre.
- Regardez bonne-mort, Luís de Castro, voyez comme il s’approche naturellement de votre faucon, sans qu’aucun des deux ne perde sa force de mâle et sans que le ciel soit étroit ou trop petit pour eux. Et pourquoi pas, puisqu’ils sont tous les deux aussi habitués à l’entendement honnête que la lune aux marées ?
Dans le ciel ils volaient tous deux comme des frères qui s’imitent sans s’opprimer. La mer et la lune en vérité.
- Vous avez sûrement déjà pensé à eau-bénite, Luís de Castro.
- Depuis hier. Vous aussi, sans doute.
- Oui, moi aussi.
Dans le ciel du xarês on eût dit que les deux faucons s’approchaient encore plus l’un de l’autre à présent, jusqu’à toucher de leurs ailes les extrémités du territoire qu’ils avaient instinctivement délimité au commencement du vol.
- J’ai peur que la maison que vous lui avez donnée et où votre servante lui porte à manger ne le protège pas suffisamment. Vous faites déjà beaucoup, en tant que chrétien et en tant que juge. Mais les pauvres gens ont parfois en eux de mauvaises pensées, et ils lui font du mal parce qu’ils le croient faible, sans comprendre que ce sont eux qui sont faibles et dignes de plus grande compassion.
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