Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Danger

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 8 février, 2007 @ 10:20

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A cabocla, Carlo de Servi (1871-1927)

Irinéia arrivait par la route, on entendait au loin sa chanson ancienne, une ritournelle aussi gaie que les rubans dans ses cheveux, que le vermeil de ses joues et le rouge mal passé sur ses lèvres. Elle savait que chez le Vieux elle trouverait un abri, car les portes étaient toujours ouvertes. Quand elle en aurait l’occasion, elle lui dirait la nouvelle. Elle désirait se reposer des nuits dormies sous les arbres, exposée au froid et aux assauts de la peur. L’appentis offrait un sol propre et d’odorantes poutres de umburana, où appuyer son corps fatigué. Et en attendant le repos, un silence de rien, et puis tout dire. Elle pouvait chanter si elle voulait, être joyeuse ou triste. Le Vieux balançait la tête, riait doucement, parlait bas. C’était bon d’être là. Il y avait l’appentis devant, où le Vieux était assis, et, derrière, la maison à trois baies, grande comme l’âme d’un homme qui avait beaucoup vécu. Personne ne savait qui avait été le premier à exister, le Vieux ou la maison. On l’avait toujours vu là, ses cheveux perdant leur noirceur, comme le jour, la lumière.

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recette

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 7 février, 2007 @ 9:56

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(photo www.memoire-vive.org)

- Alors, si vous n’avez plus besoin de moi… dit Laurinda en revenant dans la – J’ai horreur de ça ! s’exclama Vanda, en colère, en éteignant le téléphone. Pourquoi André a-t-il un téléphone dans sa voiture s’il ne s’en sert pas ?
- Laissez, il a dû oublier de le rallumer.
- Oublier ? répéta Vanda, sceptique. Je sais que je ne devrais pas dire ça, mais quelque fois j’en arrive à penser… J’en arrive à penser qu’il voit quelqu’un d’autre.
- Il y a une façon de le découvrir, Madame Vanda. Moi, une fois, j’ai fait ça à mon mari, que Dieu le guarde bien tranquille. Il était bizarre, il ne disait plus rien, encore moins que d’habitude, il n’a jamais été homme à faire de grands discours…
- Qu’est-ce que vous avez fait ? interrompit Vanda, inquiète. Un truc de sorcellerie, non ? Je ne suis pas partisane de ces trucs-là, je ne sais pas, j’ai très peur…
- Pas question de sorcellerie, Madame Vanda. Faites ce que je vous dis : une nuit où vous sentez que Monsieur est en train de rêver, vous lui mettez une main sur le cœur; doucement pour ne pas le réveiller, comme ça, expliqua Laurinda en posant la main droite sur son cœur. Vous lui demandez ce que vous voulez et vous verrez comment il répond.
- Ah oui ? Comme c’est curieux. Et avec vous, ça a marché ?
- Marché, on ne peut pas vraiment dire, admit Laurinda. Mais ça n’a pas marché, Madame Vanda, parce que ce sacré salopard, Dieu me pardonne, avait le sommeil léger et se réveillait pour un oui pour un non. J’ai encore essayé quelques fois, mais à peine je posais la main sur lui, cet idiot se réveillait ou se mettait à remuer dans tous les sens jusqu’à se tourner de l’autre côté. Mais je connais quelqu’un qui l’a fait et je sais que ça a donné de bons résultats. Monsieur votre mari a le sommeil lourd ?
- Très lourd ! s’exclama Vanda en riant. Laissez, je vais essayer et après je vous raconterai… Oh, Laurinda, ç’a été un moment de faiblesse, d’accord ? Comprenez bien que je ne crois pas une minute qu’André m’ait jamais trompé, hein ?
- Oui, dit Laurinda en regardant le bout de ses chaussures. Avec la vérité tu me trompes, ça m’étonnerait pas qu’il aille faire un tour ailleurs de temps en temps. Ils sont plus nombreux à le faire qu’à pas le faire, voilà la vérité.

Ana Nobre de Gusmão, Aves do Paraíso, Asa, 1997

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insignifiance

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 3 février, 2007 @ 9:21

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Escalier à Ferragudo (Algarve)

15 novembre

Sous ces plafonds, entre ces quatre murs, chacun cherche à réduire la vie à une insignifiance. Tout consiste en ce travail insane : réduire la vie à une insignifiance, édifier un mur fait de petites choses contre la vie. La recouvrir, la dissimuler, l’oublier. La cloche sonne le glas, personne n’entend plus le son comme un glas. La mort se réduit à une cérémonie, où les gens s’habillent de deuil et laissent des cartes de visite. Si je pouvais, je restreindrais la vie à un ton neutre, à une seule odeur, le moisi, et la ville à une couleur de buvard. Les êtres et les choses engendrent la même moisissure, comme une végétation cryptogamique, née au hasard d’un lieu humide. Ils ont leur roi, leurs passions et un fumet suspect. Ils disparaissent, ressurgissent sans raison apparente et d’un jour à l’autre dans un empan de l’Univers qu’ils prennent pour le monde entier. Ils absorbent les mêmes sels, exhalent les mêmes gaz, et suppurent d’un écoulement phosphorescent, qui correspond peut-être à des sentiments, des vices ou des discussions sur l’immortalité de l’âme.
Les passions dorment, le rire postiche fait son lit, les mains s’habituent à faire tous les jours les mêmes gestes. La même toile poisseuse enveloppe et neutralise, et il n’y a qu’un bruit qui se détache, celui de la mort qui a devant elle un temps illimité pour ronger. Il y a ici des haines qui minent et contre-minent, mais comme le temps suffit pour tout, ils minent un empan par an. Leur patience est infinie et enfonce des pointes dans la terre : elle a pris la couleur de la pierre et tous les jours elle croît d’un pouce. L’ambition n’avance pas un pied sans avoir l’autre bien posé. La ruse avance et recule, et, même si on l’écoute, on n’entend pas le bruit de ses pas. En apparence l’insignifiance est la loi de la vie : c’est l’insignifiance qui gouverne la ville. C’est la patience, qui attend aujourd’hui, demain, avec le même sourire humble : – Prenez patience – et ses doigts agiles tissent une toile de fer. Il n’y a pas d’obstacle qui la ralentisse. – Prenez patience – et elle encercle, revient en arrière, attend année après année, et regarde avec les mêmes yeux sans expression et le même sourire imprimé. Patience… patience… Le mensonge est d’une autre caste, il montre ses mille couleurs et tout le monde le trouve agréable. – Mais oui… mais oui.

Raul Brandão, Húmus, première édition Lisbonne 1907

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histoire vraie, fin

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 2 février, 2007 @ 12:06

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zone de test à Ondjiva (http://www.landmine.org/)

 

Une bonne histoire d’amour, comme on le sait, se termine toujours par une mort, du moins dans la littérature. Ce qui est extraordinaire, dans celle-ci, c’est que, contrariant le soi-disant ordre naturel des choses, Pedro Canivete João, qui n’avait que vingt-deux ans, décida de mourir avant Juliana Nangove, son épouse de quatre-vingt-dix ans, la laissant une fois de plus toute seule, circonstance à laquelle, pour être honnête, elle était déjà habituée pratiquement depuis sa naissance.
Leur mariage – blanc, même de commentaires nationaux transmis par les ondes radiophoniques – avait duré à peine trois mois, deux semaines et cinq jours. Ce fut, ni plus ni moins, le temps qu’il fallut pour que Pedro Canivete João, l’un des rares survivants de toutes les guerres qui ont arrosé le sol angolais martyrisé, tombe sur une mine terrestre oubliée, sur le chemin qui va de Ondjiva à Cahama, qui le fit voler en mille morceaux à la rencontre de la terre de notre pays, celle-la même qui, heureusement, doit nous racheter de tous nos crimes et nos péchés.

João Melo, « O amor é eterno enquanto dura », in The serial killer, Caminho, 2004

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histoire vraie (suite)

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 30 janvier, 2007 @ 11:45

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Rembrandt Le retour du fils prodigue (détail)

L’important, c’est que, lorsqu’il arriva à Ondjiva, venant d’on ne sait où, sans mémoire et même sans parler la langue locale, ce qui fait que Juliana Nangove fut obligée de communiquer avec lui en portugais, la femme l’accueillit comme on se doit d’accueillir un naufragé, un fils prodigue ou un amant perdu. Quelques jours plus tard, elle ouvrit les fenêtres, fermées depuis si longtemps, et alla au marché commander un bœuf, de quoi boire et d’autres produits pour le samedi suivant. Ensuite, elle fit le tour des parents qui l’avaient oubliée et leur demanda de venir chez elle le week-end, car elle voulait leur présenter quelqu’un et leur annoncer une décision importante qu’elle avait prise.

Comme on peut aisément l’imaginer, mais il faut l’ajouter ici pour, disons, arrondir l’histoire, les parents de Juliana Nangove trouvèrent que sa décision d’épouser Pedro Canivete João était une absurdité totale. S’ils ne prirent pas de mesures contre le jeune inconnu, c’est seulement que, lorsqu’ils le regardèrent en face, ils découvrirent dans son cœur une profonde et apaisante ingénuité. C’est eux-mêmes, du reste, qui le défendirent de la furie de la ville qui, au début, était persuadée que Pedro Canivete João devait être, sinon un sorcier, du moins un bandit, à qui il fallait donner une leçon pour lui apprendre à ne pas abuser de la patience populaire. Juliana Nangove, toutefois, était plus que décidée, car, même si elle était seule à le savoir, la vérité, c’était que, depuis qu’elle avait rencontré Pedro Canivete João, elle avait cessé de rêver de monsieur Pereira. C’est pourquoi, passée la commotion collective initiale, ils décidèrent tous de s’en laver les mains. La vieille, décidément, était folle.

João Melo, « O amor é eterno enquanto dura », in The serial killer, Caminho, 2004

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histoire vraie, suite

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 28 janvier, 2007 @ 10:33

 

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Ondjiva

Ce fut donc avec un soulagement sincère et profond que la ville accueillit la nouvelle selon laquelle Juliana Nangove avait un homme chez elle, car, bien qu’on la considère comme une femme très bizarre, c’était au minimum une affaire de justice, sinon divine, du moins naturelle : tout être humain a le droit d’avoir quelqu’un dans sa vie qui s’occupe de lui et dont il s’occupe. Mais très vite le soulagement fut remplacé par une curiosité morbide. [...]
Ces deux sentiments se changèrent en indignation littéralement populaire et civique, lorsque Pedro Canivete João fut connu des membres de la communauté locale, comme on dit de nos jours. Certains voulurent même faire justice de leurs propres mains, car il s’agissait d’un véritable crime, d’un culot inadmissible. Qui était ce gamin ? D’où venait-il ? Que voulait-il de la vieille Juliana Nangove, une pauvre femme, sans mari, sans parents, sans travail, sans rien ?
Comme les lecteurs s’en souviennent, je n’avais pas une énorme envie, au début, de raconter quoi que ce soit sur Pedro Canivete João, un gamin imberbe sans l’ombre d’un curriculum, ce qui, d’ailleurs, n’a aucune espèce d’importance lorsque est en jeu, l’amour, ce sentiment absolu, qui a une valeur en soi et qui, par conséquent, devrait dispenser de toute espèce de questionnement sur le genre, l’âge, ou même la durée de validité. Cependant, devant la légitime curiosité de ceux qui aiment à accorder une importance exagérée à des détails précis, je me vois obligé de le faire, ce qui pourra être interprété, si vous voulez, comme une preuve de la soi-disant autonomie du récit.
Par malchance, Pedro Canivete João était un de ces êtres nés en Angola après l’indépendance et qui, happés par le tourbillon des événements qui ont désolé le pays dans les premières décennies de son histoire, étaient devenus un type d’individus totalement dépourvus de références, géographiques, familiales, culturelles ou autres. La guerre, surtout, les avait jetés (littéralement) aux quatre coins de l’Angola, errants à la grâce de Dieu, exactement comme les personnages de Mia Couto, dans Terra Sonâmbula.

João Melo, « O amor é eterno enquanto dura », in The serial killer, Caminho, 2004

Bonga, « Mariquinha »

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histoire vraie

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 26 janvier, 2007 @ 8:32

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Aristote

Ceci est l’histoire de Juliana Nangove et de Pedro Canivete João. Je ne veux, en aucune façon, faire la fête ni lancer un feu d’artifice, mais il s’agit – comme, je l’espère, peut-être naïvement, les lecteurs en seront d’accord à la fin du récit – d’une merveilleuse histoire d’amour, qui ne pourrait arriver, évidemment, que dans notre fantastique pays nommé Angola, plus précisément à Ondjiva, là-bas dans le Sud. Juliana Nangove avait 90 ans et Pedro Canivete João 22, mais, malgré cette abyssale différence d’âge, un jour ils se réveillèrent et décidèrent de se marier, déclenchant, à partir de là, une succession d’événements qui ne seraient jamais oubliés par personne. Selon la radio, cette histoire s’est réellement passée, elle n’est pas une invention d’un écrivain qui n’avait rien à faire. Quoi qu’il en soit, personne n’en connaît l’origine, d’où il résulte que je vais devoir presque tout inventer. Ce n’est pas très facile, parce que, dès le début, les deux personnages sont un tantinet mystérieux, comme il convient, d’ailleurs,à une histoire incroyable de ce genre. Mais je ne dois pas céder à la tentation de me contenter d’une série d’élucubrations supposément créatives et intelligentes, car, comme on me l’a enseigné, une nouvelle digne de ce nom doit contenir une intrigue, ce qui implique de s’appuyer sur des faits concrets et – qui sait ? – palpables. La grande embrouille, c’est que, depuis Aristote, personne ne sait de façon certaine ce que sont des faits. D’un autre côté, s’il est vrai que je connais quelque chose de la vie de Juliana Nangove, de Pedro Canivete, je ne sais virtuellement rien. En réfléchissant bien, ça n’a rien d’extraordinaire, il suffit de remarquer la différence d’âge entre eux pour comprendre pourquoi j’en sais plus sur la première que sur le second. Quatre-vingt-dix ans, c’est bien plus de la durée d’une vie, surtout en Angola, cette région de la planète terre où semblent avoir convergé, ces dernières années, tous les malheurs de ce monde et de l’autre (s’il existe). Par conséquent, il est normal que je connaisse mieux les antécédents, disons-le comme ça, de Juliana Nangove puisque Pedro Canivete João en est encore au commencement de son existence, et, en principe, ne doit pas avoir vécu d’expériences ou d’événements susceptibles d’être reconnus par la littérature.

João Melo, « O amor é eterno enquanto dura », in The serial killer, Caminho, 2004

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la légende de la boulangère

Classé dans : - moyen âge/ XVIème siècle,littérature et culture — 22 janvier, 2007 @ 10:47

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*

Brites de Almeida n’était pas une femme ordinaire. Elle était laide, grande, ses cheveux étaient crépus et elle était très forte. Elle ne correspondait pas du tout aux critères féminins habituels et avait un comportement masculin. [...] Elle apprit à manier l’épée et le bâton avec une telle maestria qu’elle acquit vite une réputation de vaillance. Malgré sa terrible réputation il se trouva un soldat qui, enchanté par ses prouesses, la chercha pour lui proposer le mariage. N’ayant pas envie de perdre son indépendance, elle lui proposa de combattre auparavant. Le soldat fut blessé à mort et Brites, par peur de la justice, s’enfuit en Castille en bateau. Mais le destin voulut que le bateau soit capturé par des pirates mauresques et Brites fut vendue comme esclave. Elle réussit à rentrer au Portugal avec l’aide de deux autres esclaves dans une embarcation qui, prise dans une tempête, vint s’échouer sur la plage d’Ericeira. Recherchée par la justice, Brites se coupa les cheveux, se déguisa en homme et devint marchande ambulante. Un jour, fatiguée de cette vie, elle accepta d’être boulangère à Aljubarrota et épousa un honnête laboureur… sans doute aussi fort qu’elle.

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