Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Bon droit (suite)

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 7 janvier, 2007 @ 10:47

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(www.lesfeuillants.com)

Le chef du groupe des soldats, officier patenté, perdit patience. Voyons, vous ne voyez pas que nous sommes sur une piste d’aéroport ? Celui à qui il s’adressait rit, respectueux mais sincèrement amusé, en demandant : Un aéroport, chef ? Un aéroport c’est là où atterrissent les avions ! Expliquer qu’ils étaient presque au bout de la piste, que de là on ne voyait pas les hangars ni les avions stationnés sur le terrain et qu’une grève du personnel rampant et volant avait pratiquement réduit à zéro la fréquence des vols ne ferait que prendre beaucoup de temps et n’allait rien arranger face à tant d’inconscience et d’assurance. Tu as une minute pour quitter les lieux du délit, sinon tu seras puni en conséquence, dit l’officier, engageant ostensiblement une balle dans le canon de son arme. Toujours très droit, le citoyen s’appuya encore davantage sur ses droits constitutionnels : Je ne sortirai d’ici que quand je verrai un avion atterrir sur mon terrain. Ou alors, je mourrai ici ! Ce n’était pas l’envie qui leur manquait à tous de satisfaire à cette dernière volonté, mais pour une fois ce fut la voix du bon sens et du respect de la vie d’autrui, même dérangeante : Très bien, alors ! Nous allons attendre l’arrivée de l’avion ! Le soleil s’était couché, pendant ce temps, et le ciel explosait en tons de rose jaune et bleu orangé, splendides à voir. Ensuite il se tacha de divers gris, jusqu’à ce que la nuit éteigne toutes les distances et que seule une clarté ténue au-delà de l’horizon rappelle encore le plongeon de l’astre-chef. Le chef terrestre, lui, dont une clarté échauffait aussi la tête, se repentait déjà de la faveur accordée, alors qu’il n’avait qu’une envie, celle de dormir, car il était de service depuis le jour précédent, sans reddition. Ses subordonnés n’avaient pas l’air de trop s’en faire et s’étaient déjà égaillés peu à peu vers les terres proches, en position démilitarisée, riant et tenant des conversations qui valaient autant ici qu’ailleurs. L’aspirant habitant, pour sa part, s’était étendu de tout son long à l’endroit où il avait prévu d’installer son futur lit, dans une position de détente purement domestique. Il ne paraissait même pas déplorer l’absence de télévision. A l’aube, aucun avion ne s’était disposé à confirmer la version des militaires, et par conséquent tous, y compris le chef, dormaient à poings fermés sous les étoiles. Et ce fut l’une d’elles qui se mit à grandir, grandir, grandir, et à devenir sonore à mesure qu’elle s’approchait de la piste. C’était un avion d’une compagnie étrangère, en position d’atterrissage forcé ! Le freinage à bloc, tous moteurs ronflants, réveilla enfin les ronfleurs locaux, perplexes devant les bruits et la lumière intense qui avaient eu raison de leur sommeil et de leur fatigue, et aussi devant la présence fantasmagorique d’un monstre de métal dont le nez était si proche des leurs. Il n’y eut que l’officier qui parla, mais son commentaire refléta le sentiment commun des ex-endormis, surtout celui qui avait signalé avec toute la rigueur possible les limites de sa propriété putative : Ces types sont complètement fous ! Un de ces jours ils nous atterriront carrément dans la maison !

José Mena Abrantes (Angola) Caminhos des-encantados, Caminho, 2000

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analyse web stats

opportunistes

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 7 janvier, 2007 @ 10:04

 

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(Photo cédée par Silva Carriço)

peu à peu ma mère avait pris l’habitude de critiquer sans arrêt la révolution,

ça ne va pas tarder, chacun à sa place

une habitude, les habitudes sont si difficiles à perdre, dans les réunions du jeudi, j’aimerais bien savoir de quoi les révolutionnaires peuvent être fiers, disait ma mère à ses partenaires de canasta, à part des colonies livrées aux mains des barbares, ou des maisons et des terres occupées par des voleurs, je ne vois que ça, j’aimerais bien savoir d’où leur vient leur fierté, insistait ma mère tant que les partenaires n’eurent pas disparu des après-midi du jeudi, elles avaient profité de la brouille avec cette imbécile de Clarissa pour fuir la dangereuse habitude que ma mère avait prise, cette imbécile de Clarissa qui avait commencé à prendre de grands airs juste parce que son fils apparaissait en tenue de camouflage à la télévision, un opportuniste qui a mauvais genre selon les mots de ma mère, un héros de la révolution selon les mots de cette imbécile de Clarissa, la vérité dépend du point de vue, au début les partenaires avaient quand même essayé d’arracher ma mère à cette habitude,

les temps ont changé, Celeste

mais avec le temps elles ont compris qu’elles ne pouvaient rien faire, qu’elles ne pouvaient rien contre l’habitude qui s’était emparée de ma mère,

pour l’amour de Dieu fais plus attention à ce que tu dis, Celeste

une bande d’opportunistes, ça ne va pas tarder, chacun à sa place, ce sont toujours les mêmes qui gagnent, toujours les mêmes, les opportunistes

tu vas finir par avoir des problèmes, Celeste

Dulce Maria Cardoso, Les anges, Violeta, Esprit des Péninsules, 2006

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Un mythe

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 21 décembre, 2006 @ 9:01

 

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- Je veux modérer vos espoirs. Et je me sers pour ça d’une comparaison. Vous n’ignorez pas, sans doute, que Sherlock Holmes est une création du médecin écossais Conan Doyle et, si vous avez lu quelques livres de cet auteur célèbre, vous pensez certainement que l’excellence de déduction et l’observation perçante sont des vertus intrinsèques du personnage, lesquelles lui permettent de résoudre n’importe quelle affaire, pour abstruse qu’elle soit. Pourtant, il existe un phénomène de réception retardée du processus « Holmes », en Grande-Bretagne : les romans de Doyle ont atteint leur pic de popularité maximum au moment où la méthodologie de son détective était mise en cause en Autriche par un certain Hans Gross. Cet homme venait de créer l’embryon de ce que nous appellerions aujourd’hui la police scientifique, qui passe par la mise à disposition au service de l’enquête criminelle des moyens techniques les plus perfectionnés, c’est à dire, de ce que nous nommerions aujourd’hui la technologie de pointe. La police scientifique existe : un cheveu ou un fil de laine trouvé sur le lieu du crime peuvent identifier le type capillaire du criminel ou le pull-over qu’il portait quand il a commis son délit. Mais avez-vous vu un film, une série télévisée, un documentaire sur la chaîne Historia qui évoquait la figure de cet obscur criminaliste autrichien ? Pas moi. Vous avez vu, certainement, au cinéma ou à la télévision, plusieurs reconstitutions de Holmes, glosées sur les tons les plus variés, en train de débrouiller les affaires les plus incroyables au moyen de ses envolées déductives. Je veux dire : le cinéma et la télévision ont multiplié dans l’imaginaire des foules les effets que le roman a universalisés depuis longtemps d’une façon assez impressionniste. Il est sûr que les méandres de la police scientifique ont été dévoilés, surtout par les films américains. Mais cette divulgation est relativement récente, et reste mitigée. Le mythe de l’efficacité de Holmes, lui, ne cesse de grandir, après chaque film ou chaque série télévisée dont il est le personnage principal. Holmes peut parler au coeur de n’importe qui, contrairement à la technologie de pointe. C’est cet Holmes à visage humain que les gens croient rencontrer lorsqu’ils s’adressent à nous, oubliant qu’il est un être d’encre et de papier et nous des terriens de chair et d’os qui grattons souvent bien en-dessous du niveau minimum de dignité pour déterrer notre pain quotidien.

Júlio Conrado, Desaparecido no Salon du Livre, Bertrand, 2001

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interrogations

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 20 décembre, 2006 @ 3:36

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*

Acácia Resende pénétra sur le plateau en revenant de la cafétéria, où elle avait bu un café au lait corsé et mordu dans un pastel de nata très parfumé à la cannelle. En croisant deux électriciens qui traînaient des câbles elle fut un peu gênée par son sac à main et la serviette où elle transportait le scénario du film et autres paperasses.
Puis elle se dirigea vers un recoin relativement isolé où elle se mit à consulter l’agenda des rendez-vous. Toutefois, son attention la fuyait et elle avait des difficultés à se concentrer. Quelle malédiction, de ne pas être capable de sortir de soi-même ! D’ailleurs, tout bien considéré, personne n’y parvenait : un sage quelconque avait dit, tout à fait judicieusement – qui était-ce ? un philosophe ? peut-être Condillac ? – que pour autant que nous allions vers le haut ou vers le bas nous sommes toujours au même endroit parce que nous ne sortons jamais de nos sensations… Elle faisait un métier qu’elle aimait, sans aucun doute, écrire des histoires ou des essais basés sur les expériences de la vie, dans un cas comme dans l’autre elle était en rapport avec des êtres humains – ou plutôt, avec des personnages, certains inventés et d’autres réels, mais étaient-ils vraiment inventés, les personnages inventés ? Et les réels, étaient-ils vraiment réels ? Les personnages inventés dans ses romans, est-ce qu’elle n’allait pas les chercher dans la réalité, les composant d’astucieux petits morceaux des gens réels qu’elle avait connus, à commencer par elle-même ? Et les personnages réels dont elle donnait l’histoire en exemple dans ses études et ses thèses de psychosociologie, ne finissaient-ils pas par devenir « autres », un peu déformés sinon même défigurés, et par conséquent irréels, quand elle se servait seulement des traits qui lui convenaient le mieux pour sa démonstration ?

António de Macedo, As furtivas pegadas da serpente, Caminho, 2004

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Afonso Henriques: de la ruse

Classé dans : - moyen âge/ XVIème siècle,littérature et culture — 18 décembre, 2006 @ 11:09

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Et autant il était au début très farouche, autant ensuite il se mit par la grâce de Dieu beaucoup à son service, car en son temps, quand il était jeune homme, il ne connaissait pas du tout Dieu et ne savait même pas qu’il existait, car il était alors si entreprenant et si hardi qu’il ne trouvait personne qui le fût autant que lui, aussi bien dans les armes que dans tout le reste. Après cela, à cause du péché et du mal qu’il avait fait sa mère en la mettant aux fers, il se cassa une jambe à Badajoz, qu’il avait prise à des Maures. Et cela se passa ainsi :
Quand le Roi dom Fernando de León sut que le Roi du Portugal avait pris Badajoz, qui était sur son territoire parce qu’il l’avait conquise, il rassembla une grande armée et marcha sur lui, et les vassaux du Roi dom Afonso lui dirent alors:
« Sire, voici que nous arrive le Roi dom Fernando de León avec une grande armée. »
Le Roi dom Afonso dit alors avec grand orgueil : « Armons-nous et sortons lui livrer bataille. »
Et quand le Roi dom Afonso fut armé et monté à cheval, il éperonna sa monture fort gaillardement, et au moment où il sortit par la porte, il heurta le verrou avec la jambe, et il sortait si vigoureusement qu’il se cassa la jambe et alla aussitôt choir dans un champ de seigle. Et dom Fernan Rodriguez le Castillan qui le vit tomber de cheval alla sur l’heure le dire au roi Fernando :
« Sire, le Roi dom Afonso gît avec une jambe cassée, faites-le prisonnier car il a encore peu de gens avec lui. »
Et le Roi dom Fernando le fit prisonnier sur-le-champ. Et il donna aussitôt au Roi dom Fernando tous les châteaux qu’il avait pris en Galice, et fit promesse et serment que lorsqu’il remonterait à cheval il irait rejoindre le Roi dom Fernando où qu’il fût, et s’en retourna ensuite à Coimbra. Et il ne voulut jamais plus monter à cheval de tous les jours de sa vie jusqu’à ce qu’il meure. Et il allait dans une charrette, et quand il mourut l’ère comptait mille deux cent vingt-trois ans.

Crónicas Breves de Santa Cruz de Coimbra

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changement

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 17 décembre, 2006 @ 4:22

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Praia

En ce temps-là ce qui m’attirait le plus à Praia, c’était le plaisir d’être avec Lídia. Si j’ai le temps j’en parlerai encore en détail, elle le mérite bien. Mais ce qui est sûr, c’est que de temps en temps je m’armais de courage pour affronter les moustiques et la chaleur étouffante de la capitale et les odeurs des rues sales pour rendre visite à Lídia, à sa table et à son lit. Or, il se trouvait qu’il y avait déjà des mois que je ne savais plus rien d’elle, parce qu’aucun de nous deux ne se préoccupait de donner des nouvelles à l’autre dans les intervalles entre nos rencontres, mais voilà que j’arrive en ville et qu’elle me dit très candidement et avec un grand sourire amusé, comme si ça pouvait être une bonne nouvelle, que, contrairement à toutes ses habitudes que je connaissais bien, elle avait permis à quelqu’un, un homme, imagine ! de se réveiller dans son lit et qu’ils étaient à présent en train de faire l’expérience d’une union de fait pour voir s’il pourrait en résulter un enfant qu’il étaient tous deux désireux d’avoir.
Je comptais toujours sur Lídia pour tuer le temps long de Praia où en réalité je connaissais très peu de gens, et cette vie de couple imprévue se révéla plus que désastreuse pour mes intérêts particuliers.
Il ne m’est jamais passé par la tête qu’une femme comme toi pouvait faire une bêtise de cette nature, lui dis-je avec aigreur, mais Lídia fut suffisamment intelligente pour s’apercevoir de ma consternation. Je suis encore loin d’avoir épuisé le lot d’âneries auquel j’ai droit en tant qu’être humain, riposta-t-elle, et de toute façon tu y gagnes parce que tu as une nouvelle famille qui t’invite à dîner ce soir chez elle, comme ça tu vas connaître le susdit, je ne résiste pas à savoir ton opinion sur sa personne.

Germano Almeida (Cabo Verde), As memórias de um espírito, Caminho, 2001

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inquiétude

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 16 décembre, 2006 @ 12:27

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Sorcière

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Mais un soir d’automne quelque chose arriva qui vint troubler le calme, agiter le temps, réveiller les fantômes endormis. Paul était seul dans la librairie, feuilletant un album de bandes dessinées, lorsqu’entra un homme grand. Il le reconnut immédiatement. Il portait une gabardine usée, peut-être la même que la première fois. Il avait beaucoup vieilli, les cheveux châtains étaient devenus blancs, mais les yeux étaient restés les mêmes, montrant une infinie lassitude. Paul resta assis au bureau, sentant un frisson lui parcourir le corps. L’homme s’arrêta à quelque distance de lui, ébaucha un faible sourire.
- J’avais peur de ne plus retrouver la librairie – dit-il avec son accent étranger.
Paul attendit. La voix indécise de l’homme poursuivit, il dit qu’il lui avait vendu un livre quelques temps auparavant et qu’il aimerait le récupérer, lui indiquant le titre et l’auteur.
Le jeune homme fit semblant de consulter un catalogue, puis murmura qu’il ne l’avait pas. L’homme fit un geste de la main, exprimant le découragement, mais sur son visage on lisait un certain soulagement.
- Je ne le retrouverai jamais.
Paul ne dit rien.
- Dans ce livre il y avait la photographie d’une femme… comme une gravure en noir et blanc… j’ai été longtemps obsédé par elle.
- Pourquoi ?
- Elle ressemblait beaucoup… à quelqu’un que j’ai connu.
Paul sentit un frisson de mort le parcourir. Comme la première fois, il souhaita que cet homme ne soit jamais entré dans sa librairie. Ou du moins qu’il soit reparti, vite, avant de provoquer un mal irréparable. Mais il demanda à voix basse :
- Quand ?
L’homme frissonna.
- Il y a longtemps.
- Longtemps…
- C’était ma femme.
Il se retourna et, les épaules tombantes, il se dirigea vers la porte. Paul ferma les yeux et lorsqu’il les rouvrit l’homme avait disparu. Il retint son envie de le suivre, de lui poser des questions. De connaître cette histoire. Et subitement il comprit que l’unique chose qu’il désirait, c’était rentrer chez lui, être avec sa femme et sa fille, s’assurer qu’elles allaient bien, ou simplement qu’elles existaient.

Ana Teresa Pereira, « Des fleurs pour une sorcière« , in Se eu morrer antes de acordar, Relógio d’Água, 2000

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Après la fin

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 14 décembre, 2006 @ 2:30

 

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En fin d’après-midi, le téléphone sonna. Il sonna plusieurs fois, comme s’il n’y avait personne à la maison. C’était une journaliste qui tentait de recueillir son opinion sur un homme de lettres qui s’en était lui aussi allé manger les pissenlits par la racine. Malgré le froid, un soleil ironique narguait Copacabana. Dans un pays d’Afrique on avait découvert la plus vieille momie du monde. Mais quelle importance peuvent avoir les momies pour les cadavres ?
Le quatrième jour, il manqua un rendez-vous. Son éditeur, après plusieurs reports, l’attendait à deux heures dans son bureau climatisé dans un immeuble du centre. Bien loin de Copacabana. Ils devaient discuter de la réédition de ses anciens livres, et, bien sûr, parler du livre qu’il aurait dû être en train d’écrire pour qu’il soit publié avant la fin de l’année. Mais il n’y avait aucun livre de prêt. Même pas une ébauche mentale. Rien. Et à deux heures de l’après-midi, l’éditeur regarda la chaise vide en face de lui et dit, ce type, je vais le tuer.
Le cinquième jour, il y eut un appel de son médecin, qui avait passé un mois à voyager à travers l’Europe et avait oublié de l’informer que son cas était grave. Grave, non : alarmant. (Pas au point de retarder ses vacances, bien sûr). Mais c’était la faute de son patient, en l’occurrence. S’il avait été averti de son tragique destin, cela n’aurait rien changé. Son coeur aimait les récits courts, les fins subites.
Le sixième jour, le concierge frappa à sa porte, conformément à son rôle de concierge. La voisine s’était plainte d’une puanteur de gaz dans le couloir. Dans un autre appartement du quartier, un autre écrivain réfléchit à deux fois avant de l’appeler pour lui demander de participer à une table ronde dans une faculté de Gávea. Il pesa bien les conséquences et se souvint que, la dernière fois qu’il l’avait invité à manger chez lui, il l’avait surpris en train de passer la main sur les fesses de son épouse à la cuisine. Le débat traiterait des conteurs brésiliens contemporains. C’était l’un des meilleurs, il lui fallait l’admettre. Mais sa femme, qui n’avait rien dit de l’incident de la cuisine, serait là. Avec ses fesses. Non. Il n’exposerait jamais les fesses de sa femme à la main de celui qu’il considérait comme un grand conteur urbain du Brésil. Et qu’était un conte comparé à des fesses ?
Le septième jour, un soleil métallique refléta sur Copacabana la lumière irréelle de ses yeux aveugles. Les survivants continuèrent de tisser leur aimable routine le long de l’abîme. L’écrivain était toujours allongé là sur le sol.

Mauro Pinheiro, A primeira semana depois do fim, http://www.releituras.com/

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