Le suspect
‘Cachons-nous maintenant’, a chuchoté un de ceux qui m’escortaient.
C’est ce que j’ai fait. Lorsque nous avons été cachés dans les buissons, ayant pour témoins les gardes qu’il avait envoyés depuis quelques jours surveiller le lieu, le chef de l’escorte a dit enfin.
‘Comme vous nous l’avez ordonné’, a-t-il dit, ‘nous avons toujours ici des soldats dispersés qui surveillent discrètement le lieu alentour, et c’est ainsi que nous avons vu, ces derniers jours, une silhouette d’homme qui se tapit dans cette masure. Les premiers jours nous n’avons rien fait, car il aurait pu être un mendiant, et non un être mauvais. Mais ses vêtements, bien que simples, ne suggèrent pas une condition si humble. Alors nous avons été pris de doute : si ce n’était pas un mendiant, il devait avoir commis des fautes pour se cacher ainsi jour après jour. Il sort toujours en cachette, en regardant bien de tous les côtés, et de préférence quand la lumière de l’après-midi disparaît, ou quand le jour est à peine levé.’
Après l’avoir écouté, je lui ai demandé si l’homme était dans la masure.
‘Est-il dans la masure en ce moment ?’ ai-je demandé.
‘Il y est.’, a répondu le chef de mon escorte. ‘Comme je vous l’ai dit, il sort peu. Il ne s’absente de la masure qu’à l’aube ou à l’heure des vêpres, qui sonnera bientôt ; il reste dehors un petit moment, et ensuite il revient. Seigneur Enquêteur, je crois que nous avons fait une grosse prise. Je crois bien que c’est un des maîtres de la confrérie hérétique. Peut-être même…’
Il a cessé de parler et n’a plus rien dit, mais j’ai compris ce qu’il pensait.
‘Vous voulez dire que cela pourrait même être l’actuel pasteur de la confrérie ?’ lui ai-je demandé.
Il s’est tu. Il m’a regardé.
Les vêpres ont sonné au clocher de la Collégiale au loin, on les entendait bien de là où nous étions, et nous n’avons pas eu besoin d’attendre beaucoup pour que l’homme surveillé sorte de la masure. D’abord lentement, voilà qu’il montrait son visage à la porte, en regardant alentour comme un gibier qui se sent acculé ; puis il a fait deux pas hors de la masure ; ensuite, plaqué contre les ombres, il s’est fondu dans les buissons proches en marchant discrètement le long des murailles du château de la Dame Comtesse qui se trouvaient tout près.
‘Que fait-il d’habitude maintenant ?’ ai-je demandé.
Le chef des gardes m’a répondu
‘La plupart du temps il se promène le long des murs comme s’il voulait boire l’air pur de la nuit qu’il n’a pas à l’intérieur. Quelquefois, pas souvent, il entre au château de la Dame Comtesse et y reste un moment.’
A l’entendre parler ainsi de la Dame Comtesse, je n’ai pu dissimuler un léger tremblement en l’interrogeant de nouveau.
‘Et la Dame Comtesse, l’avez-vous vu parfois entrer dans la masure ?’
‘Non, Seigneur Enquêteur, jamais. Mais nous savons, pour nous être renseignés, que la masure est à elle. Que faisons-nous ? Arrêtons-nous cet hérétique si suspect ?’
Je n’ai rien répondu. Que ferais-je à présent ? Que devrais-je faire, pour agir correctement ? Si près du but, j’ai craint qu’en agissant avec trop d’impatience, je puisse tout faire échouer.
‘Seigneur Enquêteur’, m’a demandé encore une fois ledit chef des gardes, ‘L’arrêterons-nous lorsqu’il reviendra ?’
J’ai réfléchi un peu, puis j’ai répondu.
‘Pour quel motif ? Parce qu’il vit caché dans une masure ?’
Le chef des gardes m’a répondu, et il me semblait que son ton montait.
‘Seigneur Enquêteur, les motifs, nous les trouverons très facilement si nous l’interrogeons bien à la Collégiale. C’est ainsi que procèdent les enquêteurs.’
En entendant ces mots, je lui ai chuchoté aussitôt, avec toute la force que l’on peut mettre dans un chuchotement, que c’était moi l’enquêteur.
‘Chevalier, c’est moi qui suis l’enquêteur et nous agirons conformément à mes ordres ; j’aime mieux avoir la certitude des fautes avant l’arrestation qu’après.’
Sérgio Luís de Carvalho, El-Rei Pastor, Campo das Letras, Porto, 2000