Lusopholie

Lettres, poésie et musique lusophones

Le suspect

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 7 novembre, 2006 @ 7:15

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‘Cachons-nous maintenant’, a chuchoté un de ceux qui m’escortaient.
C’est ce que j’ai fait. Lorsque nous avons été cachés dans les buissons, ayant pour témoins les gardes qu’il avait envoyés depuis quelques jours surveiller le lieu, le chef de l’escorte a dit enfin.
‘Comme vous nous l’avez ordonné’, a-t-il dit, ‘nous avons toujours ici des soldats dispersés qui surveillent discrètement le lieu alentour, et c’est ainsi que nous avons vu, ces derniers jours, une silhouette d’homme qui se tapit dans cette masure. Les premiers jours nous n’avons rien fait, car il aurait pu être un mendiant, et non un être mauvais. Mais ses vêtements, bien que simples, ne suggèrent pas une condition si humble. Alors nous avons été pris de doute : si ce n’était pas un mendiant, il devait avoir commis des fautes pour se cacher ainsi jour après jour. Il sort toujours en cachette, en regardant bien de tous les côtés, et de préférence quand la lumière de l’après-midi disparaît, ou quand le jour est à peine levé.’
Après l’avoir écouté, je lui ai demandé si l’homme était dans la masure.
‘Est-il dans la masure en ce moment ?’ ai-je demandé.
‘Il y est.’, a répondu le chef de mon escorte. ‘Comme je vous l’ai dit, il sort peu. Il ne s’absente de la masure qu’à l’aube ou à l’heure des vêpres, qui sonnera bientôt ; il reste dehors un petit moment, et ensuite il revient. Seigneur Enquêteur, je crois que nous avons fait une grosse prise. Je crois bien que c’est un des maîtres de la confrérie hérétique. Peut-être même…’
Il a cessé de parler et n’a plus rien dit, mais j’ai compris ce qu’il pensait.
‘Vous voulez dire que cela pourrait même être l’actuel pasteur de la confrérie ?’ lui ai-je demandé.
Il s’est tu. Il m’a regardé.
Les vêpres ont sonné au clocher de la Collégiale au loin, on les entendait bien de là où nous étions, et nous n’avons pas eu besoin d’attendre beaucoup pour que l’homme surveillé sorte de la masure. D’abord lentement, voilà qu’il montrait son visage à la porte, en regardant alentour comme un gibier qui se sent acculé ; puis il a fait deux pas hors de la masure ; ensuite, plaqué contre les ombres, il s’est fondu dans les buissons proches en marchant discrètement le long des murailles du château de la Dame Comtesse qui se trouvaient tout près.
‘Que fait-il d’habitude maintenant ?’ ai-je demandé.
Le chef des gardes m’a répondu
‘La plupart du temps il se promène le long des murs comme s’il voulait boire l’air pur de la nuit qu’il n’a pas à l’intérieur. Quelquefois, pas souvent, il entre au château de la Dame Comtesse et y reste un moment.’
A l’entendre parler ainsi de la Dame Comtesse, je n’ai pu dissimuler un léger tremblement en l’interrogeant de nouveau.
‘Et la Dame Comtesse, l’avez-vous vu parfois entrer dans la masure ?’
‘Non, Seigneur Enquêteur, jamais. Mais nous savons, pour nous être renseignés, que la masure est à elle. Que faisons-nous ? Arrêtons-nous cet hérétique si suspect ?’
Je n’ai rien répondu. Que ferais-je à présent ? Que devrais-je faire, pour agir correctement ? Si près du but, j’ai craint qu’en agissant avec trop d’impatience, je puisse tout faire échouer.
‘Seigneur Enquêteur’, m’a demandé encore une fois ledit chef des gardes, ‘L’arrêterons-nous lorsqu’il reviendra ?’
J’ai réfléchi un peu, puis j’ai répondu.
‘Pour quel motif ? Parce qu’il vit caché dans une masure ?’
Le chef des gardes m’a répondu, et il me semblait que son ton montait.
‘Seigneur Enquêteur, les motifs, nous les trouverons très facilement si nous l’interrogeons bien à la Collégiale. C’est ainsi que procèdent les enquêteurs.’
En entendant ces mots, je lui ai chuchoté aussitôt, avec toute la force que l’on peut mettre dans un chuchotement, que c’était moi l’enquêteur.
‘Chevalier, c’est moi qui suis l’enquêteur et nous agirons conformément à mes ordres ; j’aime mieux avoir la certitude des fautes avant l’arrestation qu’après.’

Sérgio Luís de Carvalho, El-Rei Pastor, Campo das Letras, Porto, 2000

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Commérages

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 6 novembre, 2006 @ 11:41

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- Maman ! cria Inês, entrant dans la cuisine en courant. Tu as dit à Laurinda que le chat avait vomi sous le placard ?
- Ah, c’est vrai, Laurinda. Merci, Inês, de me l’avoir rappelé. Tu es un amour.
Contrariée, Laurinda écarta péniblement le placard du mur, prit la serpillière et se baissa.
- Que ce chat aille au diable, jura-t-elle. Pardonnez-moi, mais vous ne devriez pas avoir de chats ici. Les chats sont du côté du Mal, comme je vous l’ai déjà dit.
Vanda leva les yeux au ciel et sourit. – André et moi, nous pensons que les enfants doivent grandir avec des animaux à la maison. Normalement il est très propre, vous le savez. Il a dû manger quelque chose qui lui a fait mal, un rat qu’il attrapé dehors, peut-être.
Damné animal, pensa Laurinda en se mettant à genoux. Et ils ont laissé sécher cette cochonnerie, ça va être facile à nettoyer.
- Madame Piedade a dit, commença-t-elle, légèrement haletante, après s’être relevée, que les chats étaient du côté du Mal. Moi, je ne risque pas même de les toucher ! Une fois, je crois que je vous l’ai déjà raconté, j’avais…
- Oui, oui, vous me l’avez raconté, Laurinda. Attendez, je vais vous aider. Vous ne pouvez pas pousser le placard toute seule.
- C’est bien moi qui l’ai tiré, non ? Il n’y a pas de raison qu’il soit devenu plus lourd entre-temps, grommela Laurinda, repoussant le placard contre le mur.
- Racontez-moi la suite de l’histoire, demanda Vanda, en regardant la pendule.

 

 

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Le sanglier blanc

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 30 octobre, 2006 @ 12:37

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Le père de Fito n’avait jamais eu peur des vagabonds. Et jamais non plus il ne leur avait refusé un croûton de pain, de l’eau ou un coin pour dormir à l’abri. Mais chez Futingo il y avait, cependant, quelque chose de différent. Sa silhouette immense, sa voix rauque, la profondeur de ses yeux bleus… les choses qu’ils savait sur les vivants et les morts. Il en éprouvait une certaine terreur, mais aussi une forte attraction qui l’amenait à le recevoir, brûlant d’écouter ses histoires. En effet, ce n’était pas souvent que quelqu’un se risquait à traverser ces sommets pour pénétrer en Galice ou pour en sortir. Et personne ne l’aurait fait comme lui au plus dur de l’hiver.
- Entre. Viens près du feu, lui dit-il en le voyant à la porte.
Fito le regarda avec de grands yeux. Sa silhouette imposante avançait vers l’intérieur de la palloza, il posait son bâton et laissait sur le seuil le sac de vêtements qu’il portait sur son épaule.
- Il y a longtemps qu’on ne vous voyait plus, dit encore son père.
- Oui, bonne nuit à tout le monde.
Sa grand-mère, ses parents et ses frères étaient assis autour du feu. Le nouveau venu prit place sans se pencher beaucoup vers les flammes, tout en défaisant ses vêtements chauds.

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Chien perdu

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 24 octobre, 2006 @ 8:18

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L’antiquaire regarde une fois de plus le corps couché à ses côtés. Et alors, lentement, sans faire le moindre bruit, il se lève, ramasse ses vêtements qu’il enfile sans allumer la moindre lumière, écrit trois lignes sur un papier qu’il laisse sur la table de la salle à manger et sort de chez Antónia vers les rues noires et obscures. Les lampadaires lointains éclairent les rues par où il passe, le bruit de ses propres pas l’accompagne dans sa marche, il entend quelque part des bruits auxquels il n’avait pas prêté attention dans la journée. Il ne regarde pas le restaurant en passant devant, il continue simplement, et les pas qui l’accompagnent sont plus rapides à présent, plus sûrs du chemin, plus décidés, plus proches de l’endroit où ils veulent arriver, plus près, car la boutique est par là, et déjà proche, de la rue suivante on la voit déjà. A la porte de la boutique, enroulé sur lui-même, sommeille un chien abandonné. Son corps tremble du froid qui tombe de la nuit et l’antiquaire, en le voyant ainsi, s’approche plus lentement. Le chien lève les yeux sur lui, son corps tremble toujours, l’antiquaire murmure des paroles de réconfort et lui tend une douce main ouverte. Le chien se lève, son corps tremble plus fort, ses yeux se détournent en une expression nette de peur, son corps se rétrécit à présent – plus qu’il ne tremble – et, enfin, le chien se met à courir dans la rue obscure, fuyant l’habitude et la peur qui le dominent à force d’être maltraité par tant de gens.

Sérgio Luís de Carvalho, Retrato de S. Jerónimo no seu estúdio, Campo das Letras, 2006

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naufragé

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 22 octobre, 2006 @ 7:12

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SoKa, Le naufragé

Du large on ne voit pas la côte, et l’on meurt résigné lorsque l’eau emplit la bouche ; mais lorsque la plage est proche, à peine à la distance d’un dernier effort, on croit qu’il aurait pu exister d’autres possibles si, avec d’autres forces, avec un autre courage, avec l’aide ténue d’une dernière vague… Et l’on meurt à la vie plus meurtri, plus aveugle surtout, de tant regarder la terre qui, d’être si proche, nous échappe.

Sérgio Luís de Carvalho, Os rios da Babilónia, Campo das Letras, 2003

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mauvais présage

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 22 octobre, 2006 @ 7:33

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Fond de rivière 

Les ombres, te disais-je, que nous serons ? Des ombres, finalement, nous en sommes déjà tous ; des ombres d’hommes, des ombres d’hommes qui occupent leurs jours à cacher de leurs pauvres mains nues les épaisses ténèbres qui recouvrent à présent le monde. Avance, Flavien, avance. Emmène avec toi la mule qui calmera la faim de quelques-uns pour peu de temps. Marche, ou plutôt cours, car si aujourd’hui tu es celui qui donne, sûrement demain tu seras celui à qui l’on donne.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
J’assiège de mes questions les paysans qui mangent sur le territoire de Redondelo, mes mains serrés sur leurs épaules et mes yeux posés sur eux avec insistance, comme si par leurs yeux à eux les miens pouvaient voir plus loin que l’espace exigu qui entoure mon domaine.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
Tout savoir, savoir tout ; boire jusqu’à la lie la dernière goutte amère de ce qui arrive en ce monde.
« Qu’as-tu vu, dis-moi ce que tu as vu. »
Mais leurs yeux sont si épouvantés par mes questions que de leurs bouches ouvertes sur le pain et le vin rien ne sort que de pauvres et vaines paroles qu’ils prononcent à peine.
« Plus loin, évêque Hydace, au-delà du pont de Trajan il y a des signes… »
« Qu’y a-t-il plus loin ? Qu’as-tu vu au-delà du pont de Trajan qui puisse perturber la paix de tes travaux ? »

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L’empoisonneuse

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 19 octobre, 2006 @ 2:31

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La Voisin, estampe du XVIIème siècle

Et c’était son visage que Paul regardait maintenant sur la photographie en noir et blanc reproduite dans un livre sur les criminelles célèbres, et qui avait comme légende : Marie Auteuil, guillotinée en 1861. Le visage bien dessiné, les yeux immenses et écartés, le petit signe de naissance sous l’œil gauche, la bouche un peu trop grande. Les cheveux étaient tirés sur la nuque et tombaient en boucles douces, ils étaient bruns et épais, la robe semblait être en velours et un décolleté profond laissait deviner la racine des seins.
Mais, sans qu’il sût pourquoi, ce qui le troublait le plus était le collier travaillé, les longues boucles d’oreilles, qu’il reconnaissait parfaitement. Il les avait examinées avec admiration, le métal sombre, l’argent, or blanc ou peut-être platine, les petites pierres très vertes qu’elle lui avait dit être des émeraudes. Malgré l’absence de couleurs, il n’y avait pas de doute, les bijoux étaient identiques, le vieux collier que Marisa portait toujours, même pour dormir, comme s’il faisait partie de son corps, les boucles qu’elle mettait quelquefois, quand elle tirait ses cheveux en arrière et les attachait avec une barrette.

Avec une sensation de cauchemar, il lut les deux pages qui avaient trait à Marie Auteuil. Elle avait été jugée pour l’assassinat, à l’arsenic, de deux de ses amants, mais on suspectait qu’elle en avait empoisonné au moins quatre autres.

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Rapport

Classé dans : - époque contemporaine,littérature et culture — 19 octobre, 2006 @ 1:06

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Il a été facile de voir que nous allions arriver à la ville. Très facile en vérité, puisque à mesure que nous entrions dans les terres à travers lesquelles cette secte hérétique damnée a pu répandre son ivraie et que nous approchions de cette ville où nous sommes arrivés hier, se faisaient de plus en plus visibles les signes de l’Antéchrist, et de moins en moins la face du Seigneur paraissait régner sur la région, comme si une véritable malédiction enveloppait tout d’un voile épais. Et les visages des gens qui nous regardaient avec méfiance nous blessaient plus que la rudesse des chemins ou l’inconfort de nos montures, car de ces derniers nous nous accommodions par amour du Christ ; mais contre le regard insane des gens, que pouvions-nous sinon prier à chaque halte que la lumière les éclaire et les remette dans le droit chemin ?
Chaque fois que nous demandions à un paysan le chemin de cette ville de N., ne nous répondait qu’un visage détourné, un visage détourné vers le sud, nous indiquant ainsi ledit chemin, un visage détourné sans paroles ni salut ni conseils ; il était clair que si cela n’avait pas été pour l’escorte que vous m’avez donnée j’aurais craint pour ma vie, car je voyais bien les mains de ces paysans se serrer sur le bois des piques ou des fourches en me regardant et en voyant mon habit. Que le Seigneur leur pardonne leur démence, car je leur ai aussitôt pardonné une telle déraison.
Ainsi avons-nous fait le voyage qui a duré près d’un mois ; il me fallait, de temps à autre, réfréner les cavaliers de cette mienne escorte qui, agacés par le mépris en lequel les tenaient les simples et les paysans que nous croisions, ont si souvent dégainé leur dague, possédés par la colère qu’il me coûtait à moi de contenir. Et c’était merveille de voir comment le péché se propage si rapidement, car de calmes soldats d’ordinaire maîtres d’eux-mêmes en rien de temps se changeaient en bêtes féroces, par la cause de ce voile épais de perdition qui domine nettement ces terres.

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