Statue imaginaire de Bernadim Ribeiro
La chaleur commençait alors à vouloir tomber et, en chemin, dans la hâte que j’avais de la fuir, ou à cause du mauvais sort qui me poussait, trois ou quatre fois je tombai. Mais, comme après mes malheurs je croyais n’avoir plus rien à redouter, je ne prêtai pas attention à ce qui, semble-t-il, était un signe de Dieu pour me prévenir du changement qui devait par la suite se produire. Arrivant sur la berge, je cherchai du regard les lieux les plus ombragés, et il me sembla qu’ils se trouvaient au-delà de la rivière. Je me dis alors à moi-même qu’en cela on pouvait voir que l’on désirait le plus tout ce qu’il était le plus difficile d’obtenir ; car on ne pouvait y accéder sans passer l’eau, qui coulait là plus docile et plus haute qu’ailleurs. Mais moi, qui me réjouis toujours de chercher mon malheur, je passai de l’autre côté, et j’allai m’asseoir sous l’ombre épaisse d’un vert frêne, qui était un peu en contrebas et dont certaines des branches s’étendaient au-dessus de l’eau, qui avait à cet endroit un léger courant, et qui, gênée par un rocher qui se trouvait au milieu d’elle, se divisait d’un côté et de l’autre en murmurant. Moi, qui avais les yeux posés là, je commençai à examiner comment les choses qui n’avaient pas d’entendement pouvaient aussi se contrarier entre elles, et j’apprenais en cela à me consoler un peu de mon malheur : ainsi ce rocher était en train de contrarier cette eau qui voulait aller son chemin, comme mon infortune, en d’autres temps, avait coutume de le faire pour tout ce que je désirais le plus ; car à présent je ne désire plus rien. Et de là me vint de la tristesse, car après le rocher l’eau se rejoignait et continuait sa course sans aucun bruit ; il semblait plutôt qu’elle courait là plus vite que de l’autre côté, et je me disais que cela devait être pour s’éloigner plus vite de ce rocher, ennemi de son cours naturel, qui, comme par force, se trouvait là. Il ne tarda pas que, pendant que j’étais ainsi à méditer, sur une verte branche qui s’étendait au-dessus de l’eau, vînt se poser un rossignol, et qu’il commençât un chant si suave que mon sens de l’ouïe m’emporta tout entière après lui. Et lui, à chaque fois, augmentait ses lamentations, à chaque fois il semblait que, fatigué, il voulait s’arrêter, mais aussitôt il reprenait, comme s’il venait à peine de commencer. Le pauvre petit oiseau, pendant qu’il se lamentait ainsi, je ne sais comment, tomba mort sur l’eau ; et, lorsqu’il tomba entre les branches, beaucoup de feuilles tombèrent en même temps que lui.
(more…)